Israël
cherche à expulser des citoyens et des
résidents. Voici ce que vous devez savoir
Des
juristes affirment que le nouveau projet de loi
qui pourrait expulser les citoyens et résidents
palestiniens vers les territoires occupés
constitue un crime de guerre et viole le droit
international.
Photo
: Checkpoint de Qalandia, Cisjordanie, 01/07/2007.
Crédit : Activestills
Israël
est sur le point d’approuver une législation
lui permettant de révoquer la citoyenneté ou la
résidence des personnes ayant commis des
"actes de terrorisme" et de les expulser
vers la Palestine occupée.
Il
y a deux semaines, la Knesset a adopté en
première lecture un projet de loi qui stipule que
les personnes condamnées à une peine de prison
pour des infractions qui enfraignent la
"confiance envers l’État d’Israël"
et qui ont reçu une forme de financement de l’Autorité
palestinienne (AP) peuvent se voir retirer leur
citoyenneté ou leur résidence et être
expulsées vers la Cisjordanie occupée ou la
bande de Gaza assiégée.
La
loi s’appliquera aux citoyens palestiniens d’Israël
et aux résidents permanents de Jérusalem. Elle
fait l’objet d’une procédure parlementaire
accélérée, suite à l’escalade de la violence
au cours des derniers mois.
Le
projet de loi a bénéficié d’un large soutien
de la part du nouveau gouvernement d’extrême
droite et des partis d’opposition, la première
lecture ayant été approuvée par 89
parlementaires et seulement huit s’y étant
opposés.
La
proposition de loi stipule qu’un citoyen ou un
résident israélien qui reçoit "des
salaires mensuels de l’Autorité palestinienne
en tant que rémunération et compensation pour
avoir commis des actes de terrorisme"
équivaut à "un aveu qu’il a renoncé à
son statut de citoyen ou de résident."
L’Autorité
palestinienne affirme depuis longtemps que les
paiements aux familles des prisonniers constituent
une forme d’aide sociale pour ceux qui ont perdu
leur soutien de famille, et nie que ces fonds
visent à encourager la violence.
La
nouvelle législation a été critiquée par des
organisations de défense des droits et des
experts juridiques, qui affirment qu’elle cible
exclusivement les Palestiniens sur la base de leur
identité raciale et qu’elle est contraire au
droit international.
Middle
East Eye retrace l’histoire de la révocation
par les autorités israéliennes de la
citoyenneté et de la résidence des Palestiniens
en Israël et à Jérusalem occupée, ainsi que
les ramifications juridiques du nouveau projet de
loi.
Historique
de la révocation de la citoyenneté
Israël
dispose déjà d’une législation lui permettant
de révoquer la citoyenneté ou la résidence.
Toutefois, avec ce nouveau projet de loi, c’est
la première fois qu’il cherchera
consécutivement à expulser des personnes vers un
territoire occupé.
"
En 2008, la loi israélienne a été modifiée
pour permettre au ministre de l’Intérieur de
révoquer la citoyenneté sur la base de la
loyauté (ou de l’absence perçue de
celle-ci)" a expliqué à MEE Hassan Ben
Imran, membre du conseil d’administration de Law
for Palestine basé à Nairobi.
"Le
premier incident est survenu en 2017, lorsqu’un
tribunal israélien s’est prononcé en faveur de
la révocation de la citoyenneté d’un citoyen
palestinien d’Israël sur la base de la
loyauté."
En
août 2017, un tribunal de Haïfa a approuvé la
demande du ministre de l’Intérieur de l’époque,
Aryeh Deri, de révoquer la citoyenneté d’Alaa
Zayoud, un prisonnier palestinien de longue date,
pour manque de loyauté envers l’État.
Une
affaire similaire a été intentée contre le
prisonnier Mohammed Mafarja. Un tribunal de
district de Lod, ou Lydd en arabe, a rejeté une
demande de révocation de sa citoyenneté en 2018,
suite à quoi Deri a fait appel devant la Cour
suprême.
L’année
dernière, la Cour suprême a jugé que si les
demandes du ministre étaient constitutionnelles,
le processus de révocation de la citoyenneté de
Zayoud et de Mafaraja était juridiquement
défectueux.
Elle
a également statué qu’une personne dont la
citoyenneté est révoquée doit se voir accorder
un permis permanent de résidence en Israël, afin
de ne pas la laisser apatride.
"La
décision a été rejetée par la haute cour
israélienne, mais pour des raisons de procédure,
et non de fond", a déclaré Ben Imran.
Dans
une affaire distincte, la Cour suprême a rejeté
en septembre 2017 la révocation par Israël de la
résidence de quatre parlementaires à Jérusalem
pour "manquement à la loyauté" au
motif qu’aucune loi ne l’autorisait.
La
résidence permanente fait référence aux pièces
d’identité délivrées par le ministère
israélien de l’Intérieur aux résidents
palestiniens de Jérusalem-Est occupée, dont la
plupart refusent la citoyenneté israélienne.
La
loi de 2008 ne faisait référence qu’à la
révocation de la citoyenneté, et non de la
résidence. Ainsi, le parlement israélien a
récidivé en mars 2018, en adoptant une loi qui
permet au Ministre de l’intérieur de révoquer
également les résidences permanentes, sur la
base de la loyauté.
En
décembre, c’est sur cette base que l’avocat
défenseur des droits humains franco-palestinien
Salah Hamouri a été expulsé de Jérusalem vers
la France.
Hamouri,
chercheur à l’ONG de défense des droits des
prisonniers palestiniens Addameer, a été placé
en détention à partir de mars 2022 sur la base d’accusations
d’infractions à la sécurité, qu’il nie.
Les
déportations de Jérusalem sont un "crime de
guerre"
La
déportation des Palestiniens de Jérusalem
contrevient au droit humanitaire international et
constitue un crime de guerre, comme l’affirment
des experts juridiques internationaux.
"
Les Palestiniens qui résident en permanence à
Jérusalem-Est occupée sont des personnes
protégées par le droit humanitaire
international, et les dispositions adéquates du
droit de l’occupation s’appliquent à eux
" a déclaré à MEE Saba Pipia, conseiller
juridique au Centre de droit humanitaire
international Diakonia à Jérusalem.
Il
a déclaré que ce déplacement proposé des
personnes protégées de Jérusalem vers d’autres
zones du territoire palestinien occupé
"constituerait un acte de transfert forcé
interdit par l’article 49 de la Quatrième
Convention de Genève et équivaut à une
violation grave de cette convention et donc, à un
crime de guerre."
De
tels transferts forcés sont illégaux tant à l’intérieur
d’un territoire occupé que vers un État tiers,
ce qui était le cas de M. Hamouri.
A
l’époque, le ministère français des affaires
étrangères a critiqué l’expulsion de Hamouri,
rappelant aux autorités israéliennes que les
Palestiniens de Jérusalem vivaient dans un
territoire occupé tel que défini dans la
quatrième convention de Genève.
Outre
l’illégalité des expulsions, le fondement de
ces expulsions - la violation de la loyauté
envers Israël - est également contraire au droit
humanitaire international.
"L’article
45 du règlement de La Haye, interdit à la
puissance occupante de contraindre les habitants
du territoire occupé à lui prêter serment d’allégeance",
a déclaré Pipia.
"Par
conséquent, les résidents palestiniens de
Jérusalem ne sont pas obligés d’être fidèles
à l’État d’Israël, la puissance
occupante."
Ben
Imran note que la nouvelle loi "manipule la
démographie" du territoire occupé, et
enfreint donc aussi la quatrième Convention de
Genève sur cette base.
Violation
du droit international
Les
droits fondamentaux des citoyens palestiniens d’Israël
seront également affectés par la loi proposée.
Bien
que le droit humanitaire international ne leur
soit pas applicable, l’expulsion pourrait avoir
un impact sur leurs droits fondamentaux, en vertu
du droit international.
"Il
semble probable que l’adoption de la proposition
de loi portera atteinte à l’objectif clé de la
Convention sur l’apatridie, qui est d’empêcher
les personnes de devenir apatrides déclare Pipia.
Il
a noté que si Israël n’est pas un État partie
à cette convention, il l’a signée et a donc
"l’obligation de ne pas aller à l’encontre
de l’objet et du but de cette convention".
Le
projet de loi a également des implications en ce
qui concerne le Pacte international relatif aux
droits civils et politiques, auquel Israël est
partie, a-t-il ajouté.
L’article
12 de ce pacte stipule que toute personne se
trouvant dans un État doit pouvoir circuler
librement et choisir librement sa résidence sur
ce territoire, et ne doit pas être arbitrairement
privée du droit d’entrer dans son propre pays.
"Si
le droit des droits de l’Homme autorise des
restrictions à ce droit... pour des raisons de
sécurité nationale, l’application de telles
restrictions dans tout cas individuel doit être
fondée sur des motifs juridiques clairs,
répondre aux exigences strictes de nécessité et
de proportionnalité, et de
non-discrimination" a déclaré M. Pipia.
"La
nécessité, la proportionnalité et la nature
non-discrimination de [la nouvelle loi proposée]
peuvent être et seront certainement
contestées."
Ben
Imran a déclaré que le projet de loi contrevient
également à la Convention internationale sur l’élimination
de toutes les formes de discrimination raciale,
qui vise, entre autres, à réduire l’apatridie.
"La
convention... garantit non seulement le droit à
la nationalité sans distinction de race, de
couleur ou d’origine nationale ou ethnique, mais
aussi le droit à l’égalité devant la
loi" a-t-il dit, ajoutant qu’elle fait
spécifiquement référence à la
non-discrimination en matière de citoyenneté.
La
Cour suprême israélienne a reconnu que la loi de
2008, qui pourrait rendre des personnes apatrides,
contredit le droit international, mais a jugé que
de telles violations ne sont pas
inconstitutionnelles au niveau national.
"Cette
décision s’inscrit dans une tendance
croissante, observée dans plusieurs arrêts
récents, selon laquelle la Cour suprême ignore
les obligations d’Israël en vertu du droit
international afin de servir les intérêts
politiques d’Israël" déclare Ben Imran.
Adalah,
un centre juridique et de défense des droits de l’Homme
pour les citoyens palestiniens d’Israël, et l’Association
pour les droits civils en Israël ont
conjointement déposé un recours devant la Cour
suprême dans l’affaire de la révocation de la
citoyenneté du détenu Zayoud.
Salam
Irsheid, avocat pour Adalah, a déclaré à MEE
que l’organisation contesterait juridiquement
toute expulsion vers la Cisjordanie ou la bande de
Gaza en vertu du nouveau projet de loi, mais que
cela pourrait être rendu plus difficile par les
récentes réformes judiciaires proposées.
Le
nouveau gouvernement israélien de droite cherche
à mettre en place de vastes réformes du système
judiciaire, y compris la possibilité de remettre
en vigueur des lois disqualifiées par la Cour
suprême avec une majorité simple à la Knesset
de 61 députés (sur 120).
"Les
changements apportés au système judiciaire
permettront de remettre en vigueur des lois qui
ont été rejetées par la Cour suprême. Ainsi,
même si nous gagnons un procès comme celui-là,
ils pourront toujours légiférer à
nouveau", a déclaré Irshed.
Un
système à deux niveaux
Adalah
a vivement critiqué le nouveau projet de loi dans
une déclaration la semaine dernière, au motif qu’il
crée des voies juridiques distinctes pour la
citoyenneté en fonction de l’identité raciale.
Les
expulsions n’auront effectivement un impact que
sur les Palestiniens, étant donné le libellé
spécifique lié au financement de l’AP.
Israël
cherche depuis longtemps à mettre un frein aux
allocations versées aux familles des détenus,
retenant régulièrement des centaines de millions
de dollars de transferts fiscaux à l’AP,
équivalents à ce qu’il considère être des
fonds versés aux prisonniers.
Il
a également adopté en 2020 un ordre militaire
menaçant d’amendes et de prison ces paiements,
ce qui a incité plusieurs banques palestiniennes
à fermer les comptes des prisonniers et de leurs
familles.
Irshed
pense que l’élément de la loi sur le
financement est un prétexte pour créer une
politique à deux vitesses qui n’affecte que les
Palestiniens.
"L’État
dispose déjà de moyens légaux pour traiter la
question de la compensation, sans avoir recours à
ce nouveau projet de loi qui révoque les droits
fondamentaux", a-t-elle déclaré.
Elle
a ajouté que les citoyens juifs d’Israël qui
ont commis des actes de terrorisme ne seraient pas
soumis à l’expulsion, en raison de l’élément
de la loi sur le financement de l’AP.
"Cela
crée des voies légales et des sanctions légales
différentes contre la commission d’actes
terroristes, en fonction de l’ethnie."
La
législation existante pour la révocation de la
citoyenneté ou de la résidence a déjà été
accusée de ne s’appliquer qu’aux
Palestiniens.
Adalah
note que depuis l’amendement de 2008, les 31 cas
de révocation de la citoyenneté examinés par le
ministre de l’intérieur concernaient tous des
Palestiniens.
La
Cour suprême a rejeté cette affirmation,
déclarant que seules trois demandes avaient été
portées devant les tribunaux, et que cela était
donc insuffisant pour identifier une tendance.
Ben
Imran cite l’exemple du cas du citoyen
israélien juif Yigal Amir, qui a fait l’objet d’une
demande de révocation de sa citoyenneté après
avoir tué l’ancien Premier ministre israélien
Yitzhak Rabin en 1995, comme exemple de deux poids
deux mesures.
La
Cour suprême a rejeté la demande, statuant en
1996 qu’il n’y avait aucune raison de
révoquer la citoyenneté d’Amir, "non pas
en raison de la dignité du tueur, mais en raison
de la dignité de ce droit [à la
citoyenneté]."
"Ce
[projet de loi] est la manifestation même de l’apartheid.
Il est discriminatoire et sélectif à l’égard
des citoyens palestiniens d’Israël" a
déclaré Ben Imran.
Lier
les citoyens palestiniens d’Israël à la
Cisjordanie ou à Gaza, a-t-il ajouté, "ne
peut être vu en dehors du cadre de l’apartheid."
"Israël
menacerait-il d’expulser l’un de ses citoyens
d’origine éthiopienne ou russe vers l’Éthiopie
ou la Russie ? Cela ne s’applique qu’aux
Palestiniens."
Traduction
: AFPS
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