Francesca
Albanese a été nommée, en mars 2022, rapporteuse spéciale de
l'ONU sur la situation des droits de l'homme dans les
territoires palestiniens occupés depuis 1967. Une nomination
immédiatement critiquée par Israël qui empêche
régulièrement toute enquête des Nations unies sur la
situation au Proche-Orient.
Elle
alerte sur la situation de Salah Hamouri, avocat, défenseur des
droits humains et chercheur franco-palestinien, qui a été
arrêté à son domicile de Jérusalem-Est, partie occupée de
la ville, et immédiatement incarcéré. Une détention
prolongée tous les trois mois depuis mars 2022 sans charges ni
procès.
Pourquoi
vous êtes-vous intéressée au cas de Salah Hamouri?
En
tant que rapporteuse spéciale sur la situation des droits humains
dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, je suis
censée me concentrer sur toute pratique arbitraire qui puisse
avoir un impact sur les droits humains. Dans ce contexte, le nom
de Salah Hamouri m'était bien entendu connu. Il est depuis
longtemps la victime de mesures carcérales excessives. Les
pratiques de détention sont souvent arbitraires. Et le cas de
l'avocat Salah Hamouri, loin d'être unique, apparaît
emblématique d'un système inique et aberrant. Depuis le 7 mars
2022, M. Hamouri a été placé en détention administrative,
c'est-à-dire sans inculpation ni procès, sur la base
d'informations secrètes. Auparavant, il a été pris pour cible
durant vingt ans, en le harcelant, en l'arrêtant de manière
arbitraire. La détention administrative de M. Hamouri est
emblématique des efforts d'Israël de contrôler au maximum le
peuple sous occupation et surtout réduire au silence les
défenseurs et défenseuses des droits humains et des droits des
Palestiniens. En fait, ces actes, qui équivalent à des
persécutions, empêchent les Palestiniens de jouir de leur droit
inaliénable à l'autodétermination, en limitant leur capacité
à s'affirmer en tant que peuple. De plus, le cas de Salah Hamouri
devient exceptionnel car il est susceptible de créer un
précédent juridique très dangereux. La résidence d'un
Palestinien de Jérusalem serait révoquée sur la base
d'éléments à charge ou d'accusations secrètes. Le défi est le
suivant?: si les autorités israéliennes venaient à agir
impunément avec un individu de nationalité européenne, il n'y
aurait plus rien qui pourrait les empêcher de continuer à
dépeupler Jérusalem de sa population arabe. Et c'est sur cela
que le silence de la France est assourdissant.
Dans
un communiqué, vous avez expliqué que "?les pratiques de
détention auxquelles M. Hamouri est soumis ne sont pas seulement
illégales?: elles sont sadiques?". De quoi s'agit-il??
Nous
avons déterminé que les pratiques contre M. Hamouri sont
sadiques. Car les représailles contre ce juriste se sont
intensifiées depuis qu'il est devenu défenseur des droits
humains et avocat au sein d'Addameer, l'organisation de la
société civile palestinienne qui s'occupe des droits des
prisonniers. L'année dernière, elle a été désignée, comme
organisation terroriste - sans preuves - par Israël. Après son
appel au président Emmanuel Macron en juillet, en tant que
citoyen français, les autorités israéliennes l'ont transféré
de force, de manière inhumaine, dans une prison de haute
sécurité, Hadarim, dans le centre d'Israël. Il a été
catégorisé comme "?prisonnier à haut risque?".
Quand
M. Hamouri a commencé une grève de la faim avec 29 autres
détenus en détention administrative à la fin de septembre 2022,
il a été placé, en guise de représailles, dans une cellule
d'isolement. Une cellule infestée de parasites, de quatre mètres
carrés, sans air frais ni lumière pendant quinze jours, où il
se trouve privé de tout contact avec le monde extérieur. Les
autorités israéliennes ont par ailleurs exercé ce qui
s'apparente à un chantage sur M. Hamouri, lui disant que s'il
quittait sa ville natale de Jérusalem pour aller en France, ce
harcèlement prendrait fin.
C'est
de l'abus pur, et en plus, sadique car il s'exerce en infligeant
de la douleur à M. Hamouri et sa famille. La détention
administrative est illégale au regard du droit international
parce que c'est une privation de liberté arbitraire sans
inculpation ni procès, sur la seule base d'un dossier déclaré
secret que les avocats des détenus ne peuvent pas consulter.
Dans
quel but Israël utilise la détention administrative?
Le
cas de M. Hamouri le démontre. La détention administrative est
utilisée afin de punir et prévenir l'opposition de la part du
peuple sous occupation. Avocats, défenseurs et défenseuses des
droits humains, activistes, cela vise tous ceux qui se battent
pour la fin de l'occupation coloniale et de l'apartheid. Le but
est de décourager toute forme de résistance au régime
israélien et de contrôler le peuple palestinien. Il s'agit d'une
des caractéristiques principales du colonialisme de peuplement.
Mon prochain rapport se concentrera exclusivement sur la privation
de liberté en mettant l'accent sur le régime carcéral
qu'Israël inflige au peuple palestinien depuis 1967.
Comment
l'expert de l'ONU que vous êtes juge la situation dans les
territoires palestiniens occupés??
Dans
mon premier rapport, j'explique que le peuple palestinien reste
privé du droit à l'autodétermination. Les territoires
palestiniens occupés restent actuellement soumis à un régime
délibérément prédateur, ségrégationniste et répressif,
conçu pour empêcher la réalisation de ce droit à
l'autodétermination. Les agissements d'Israël dans ces
territoires sont indissociablement liés au colonialisme de
peuplement. Le régime d'apartheid et l'occupation illégale sont
des conséquences inévitables.
Pourquoi
aucune mesure coercitive n'est-elle prise à l'encontre de l'État
d'Israël, malgré la violation des résolutions de l'ONU et du
droit international?
Jusqu'à
aujourd'hui, les jeux et intérêts politiques ont prévalu sur le
droit international. C'est pour cette raison que je préconise un
changement de paradigme fondé sur le respect du droit combiné à
une compréhension approfondie des conditions-cadres et
responsabilités historiques des principaux protagonistes. Ce
changement de paradigme ne pourra être réalisé qu'en
garantissant le respect du droit inaliénable du peuple
palestinien à l'autodétermination et en reconnaissant
l'illégalité absolue du colonialisme de peuplement et de la
politique d'apartheid. Enfin, ce n'est qu'à la condition où le
droit international servirait à nouveau de principal cadre de
référence à l'action de la communauté internationale que cette
dernière pourra surmonter la détérioration constante de la
situation dans les territoires palestiniens occupés.
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