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Au
grand dam des Palestiniens, qui voient de plus en plus de terres
confisquées, et la violence des colons s’intensifier. Région
de Naplouse (Cisjordanie occupée).– Il y a une longue file de
voitures, quelques bus à l’arrêt et des groupes de colons
israéliens qui descendent de ces derniers, munis de sacs à dos d’où
dépassent des tapis de sol, des paquets de cornflakes ou des
casseroles pour cuisiner.
Ce
sont des jeunes en majorité, mais aussi des familles entières,
qui passent d’une colline à l’autre et traversent quelques
sentiers imperceptibles jusqu’à arriver sur cette petite terre
palestinienne le long de la route 5, coincée entre la zone
industrielle des colonies d’Ariel et de Barkan, dans le nord de
la Cisjordanie.
Turban
rose pâle couvrant ses cheveux, longue jupe et chaussures de
randonnée, Nehora Zaichik, venue de la colonie de Rehelim avec
son mari et ses trois enfants, dégage le sol et commence à y
installer une tente. « Nous sommes là... be’zrat hashem, si
Dieu le veut… pour construire sur tout le pays. Ici, mais aussi
là, là-bas, partout », dit-elle, pointant du doigt toutes les
terres alentour.
Comme
elle, ces milliers d’ultranationalistes juifs ont répondu à l’appel
de Nachala (« héritage » en hébreu, faisant référence à
celui d’une « Terre promise »), un mouvement qui prône la
colonisation et dont l’objectif est d’établir le plus d’avant-postes
possible - colonies illégales, même au regard du droit
israélien.
Le
20 juillet, trois points de rendez-vous ont été donnés du nord
au sud de la Cisjordanie avec un objectif - construire dix
nouvelles implantations sauvages - et un mot d’ordre : « S’ils
nous font partir d’une colline, nous irons sur une autre et s’ils
nous chassent, nous reviendrons. »
Le
ministre israélien de la défense Benny Gantz avait promis de les
faire arrêter. Mais tous déambulent, sous l’œil attentif et
protecteur de l’armée israélienne et de la police, qui avait
préalablement bloqué tout accès aux Palestiniens en
établissant des check-points.
Devant
une station-service, le point de rendez-vous, une toute petite
poignée de militants de la gauche israélienne essaient de les
stopper. En vain : la police les repousse rapidement et
violemment. L’une d’entre elles - nez de clown sur le visage
pour n’être pas reconnue - se met à pleurer. « Regardez ce
que ces gens font à notre pays. Regardez comment l’armée
travaille avec eux. Il n’y a pas d’avenir. Ça me dégoûte
», se désole-t-elle, avant de rebrousser chemin.
Les
colons, eux, s’affairent. Ils déchargent d’un camion des
dizaines de chaises en plastique, accrochent des drapeaux
israéliens çà et là, ramassent des pierres et les entassent,
voulant construire « des maisons », disent-ils, bien décidés
à rester le plus longtemps possible.
Noam,
la quarantaine, kippa de tricot bleu et blanc sur la tête,
confirme. « Notre plan est de construire un village. Là, on
commence avec des tentes, mais ensuite il y aura des caravanes.
Peut-être même, un jour, nos tombes. C’est écrit : le peuple
israélien doit être répandu sur toute la Terre d’Israël.
Nous sommes donc là pour rappeler que cet endroit nous appartient
et que nous pouvons vivre où nous voulons. »
Puis,
sous les applaudissements d’une foule de militants galvanisés,
chauffés à blanc, qui dansent en rond, le député d’extrême
droite Itamar Ben Gvir fait son entrée. Ce chef de file du parti
Otzma Yehudit (« puissance juive » en hébreu), ouvertement
raciste, rêve d’un « Grand Israël » englobant toutes les
terres palestiniennes, la Jordanie, et une partie de la Syrie et
de l’Arabie saoudite. Avocat, il a aussi fait de la défense des
extrémistes juifs accusés de terrorisme par la justice
israélienne sa spécialité : c’est lui qui a ainsi défendu
deux adolescents accusés d’avoir participé à l’attaque d’une
maison à Duma, en Cisjordanie, où deux parents et leur bébé de
8 mois ont été brûlés vifs, en 2015.
Entré
à la Knesset en mars dernier – 27 ans après l’interdiction
du parti Kach du rabbin Meir Kahane dont il est considéré comme
le successeur idéologique –, il compte de nombreux soutiens
chez les colons, clamant que les 250 colonies et avant-postes
déjà existants ne sont pas suffisants et que « les Palestiniens
sont les envahisseurs ». Ces ultranationalistes veulent ainsi
influencer la politique du gouvernement, qui, selon Matan
Rosenfelfer, jeune homme de 28 ans, de la colonie de Peduel, ne va
pas assez loin. « Nous, ce que nous voulons, ce ne sont pas de
nouvelles constructions dans les implantations [le nom qu’ils
donnent aux colonies – ndlr], nous voulons de nouvelles villes.
»
Interrogé
sur ce point, il refuse d’emblée de voir sur cette terre une
quelconque propriété palestinienne. « Que les Palestiniens
disent que cette terre leur appartient, ça ne veut pas dire que c’est
vrai. Nous ne sommes pas au milieu d’un village arabe ici, ce n’est
pas notre but pour le moment. Dans le futur, peut-être, mais là,
il n’y a personne. » Et il le sait : sur la volonté du
gouvernement, cette petite terre peut très vite être reliée à
l’eau, à Internet, à l’électricité. Ce ne sera pas cette
fois : l’avant-poste comme les six autres créés ce jour ont
été évacués au petit matin, hors des caméras des
journalistes.
Violences
croissantes
L’appel
à la prière résonne du haut de la colline. Il vient du village
palestinien de Bruqin, à côté duquel Brukhin, une colonie
créée en 1998. « Ils ont même pris le nom de notre village »,
soupire un jeune Palestinien de 28 ans, adossé à la porte d’une
petite épicerie aux lumières tamisées.
Il
nous décrit comment la population croissante des colons en
Cisjordanie - qui dépasse maintenant le demi-million –
restreint ses libertés. « La terre de ma famille ? Les colons
nous empêchent d’y accéder. Parfois, ils coupent même nos
oliviers. »
Il
nous montre la grande route, en contrebas. « Celle-là, je ne
peux pas l’utiliser. Elle est réservée aux colons. Je dois
prendre la route strictement palestinienne qui me fait faire un
long détour. » « C’est toujours la même chose, c’est l’apartheid,
souffle à ses côtés le gérant. Et le reste du temps, ils
essaient de nous attaquer. »
Le
nombre d’incidents liés à la violence des colons a fortement
augmenté ces dernières années. « Ils ont quasiment doublé
depuis 2020 », souligne Anthony Dutemple, chef de mission pour
Première Urgence internationale (PUI), une ONG qui intervient
auprès des communautés palestiniennes victimes de la violence
des colons en Cisjordanie.
Les
attaques prennent des formes très variées. Parfois, elles sont
même coordonnées entre différentes colonies ou avant-postes, se
font en pleine journée, avec la police et l’armée
israéliennes à proximité, comme l’a confirmé un rapport de l’ONG
Breaking the Silence publié l’été dernier. Sans compter les
menaces des colons armés sur les Palestiniens, le harcèlement
moral et psychologique au quotidien, poussant les communautés à
partir.
Pour
l’organisation Nachala, cette violence n’est que le fait d’éléments
minoritaires. L’armée, quant à elle, rejette toute
implication. « Mais cela fait vraiment partie de la stratégie
des autorités israéliennes d’occuper le territoire, ajoute
Anthony Dutemple. Il y a deux ans, on parlait d’annexion
formelle. Mais nous, sur le terrain, on estime que l’annexion,
de fait, est déjà là : la population palestinienne n’a plus
accès à ses ressources et ses moyens d’existence sont mis en
péril.
Et
au-delà de l’augmentation du nombre d’attaques, on voit que
leur intensité a également augmenté : il y a de plus en plus de
dégâts matériels et de blessés importants chez les
Palestiniens, voire des morts. » Depuis le début de l’année,
selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des
Nations unies (OCHA), deux Palestiniens ont été tués par des
colons.
À
quelques kilomètres à peine, à Iskaka, village du sud de
Naplouse, nous retrouvons Hassan Harb, sur sa terre, surplombant
la vallée. Il y a des oliviers à perte de vue d’un côté, les
barbelés d’Ariel de l’autre - l’une des plus importantes
colonies israéliennes, 20 000 habitant·es et 10 000
étudiant·es, dont l’étendue décourage tous les scénarios d’évacuation.
C’est
ici que son fils Ali, 28 ans, a été tué, poignardé par un
colon le 21 juin dernier.
«
C’est la première fois que je reviens », confie-t-il, d’une
voix tremblante. Hassan raconte qu’il était malade ce jour-là,
quand il a reçu un appel de ses voisins lui indiquant que des
colons étaient sur sa terre et qu’ils semblaient avoir l’intention
de s’y installer. « J’ai directement dit à deux de mes fils,
à mon frère et à des amis d’aller voir. »
Les
six Palestiniens se mettent en route et lorsqu’ils s’approchent
des colons, ces derniers partent immédiatement.
Ahmad,
25 ans, le frère d’Ali, qui était sur place, raconte ensuite
comment la police et l’armée débarquent, suivies des colons,
de retour. « Il y avait trois groupes : nous, les colons et l’armée
au milieu. Puis un colon s’est faufilé sur le côté, il a
sorti un couteau d’environ 6 cm et a essayé de poignarder mon
cousin d’abord, qui a réussi à l’éviter, mais c’est Ali,
mon frère, qui a été touché.
Il
s’est directement écroulé au sol. Au même moment, les soldats
pointaient leurs armes sur nous, nous empêchant de s’approcher
d’Ali pour le sauver… » Son regard est vide, sa voix s’éteint
brusquement. « Le coup de couteau a brisé une de ses côtes et a
touché l’artère principale menant au cœur… provoquant sa
mort », poursuit Hassan, le père.
Un
mois après, malgré la station de police de la colonie d’Ariel
à côté, malgré les caméras à proximité, la famille
désespère que le coupable soit jugé. « Il a été arrêté le
lendemain, puis relâché, faute de preuves, précise l’un des
oncles d’Ali. Il a surtout porté plainte en disant qu’il
avait été attaqué, lui. De toute façon, ces colons savent bien
qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent, dans l’impunité la
plus totale », soupire-t-il. Selon l’organisation israélienne
Yesh Din, 97 % des plaintes des Palestiniens restent sans suite.
Alice
Froussard Médiapart du 30 juillet 2022
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