La
coalition gouvernementale aux commandes en Israël donne carte
blanche aux soldats, qui se livrent à une répression aveugle.
Exactions, exécutions sommaires, colonisation sauvage... Tel-Aviv
ouvre la voie à un nouvel embrasement.
Un
an après la guerre des Onze-Jours, en mai 2021, le quotidien s’écrit
à nouveau en lettres de sang en terre de Palestine. L’affrontement
le plus meurtrier depuis la guerre de 2014, entre Israël et le
Hamas, avait alors fait plus de 243 morts côté palestinien, dont
66 enfants et 39 femmes. Plus d’une vingtaine de familles
avaient été décimées par les frappes israéliennes, 15 000
habitations détruites, dont 205 tours résidentielles, et environ
91 000 Gazaouis avaient été déplacés.
Le
cessez-le-feu conclu après ce terrible bilan a épargné des
vies. La situation n’en reste pas moins explosive. Elle illustre
plus que jamais le désespoir de la jeunesse palestinienne à l’horizon
bouché, prise en étau entre la répression sanglante
israélienne et la désunion persistante des organisations
dirigeantes (Hamas, OLP), du pain bénit pour Tel-Aviv.
Dans
ce contexte, Israël entretient le feu. La répression s’intensifie
en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Les arrestations se
multiplient, ainsi que les démolitions de maisons. La
colonisation se poursuit sous des formes inédites.
Dernier
fait en date : une douzaine de villages palestiniens et environ un
millier de personnes, des bergers et des agriculteurs, sont sous
la menace d’expulsions à Masafer Yatta, au sud de la
Cisjordanie, pour céder les terres à l’armée qui désire en
faire un champ de tir. Le tout avec la bénédiction de la Cour
suprême.
«
L’expansion des colonies, les démolitions et les expulsions
sont illégales au regard du droit international. L’UE
condamne de tels plans et demande instamment à Israël de
cesser les démolitions et les expulsions, conformément à ses
obligations en vertu du droit international humanitaire et du
droit international des droits de l’homme », a déclaré à
ce propos le porte-parole de Josep Borrell, chef de la
diplomatie européenne.
Une
période propice au déchaînement
Cette
violence permanente aux multiples facettes pousse les jeunes
Palestiniens à des actes désespérés en territoire israélien
et à des affrontements perdus d’avance avec des soldats
lourdement armés. Un Palestinien âgé de 18 ans a été tué,
mercredi, dans la ville d’Al-Bireh, en Cisjordanie occupée.
De
nouveaux cycles d’embrasements sont prévisibles dans les jours
qui viennent : le 15 mai, jour de commémoration de la Nakba
(catastrophe, mot qualifiant l’exode palestinien de 1948) ; le
28 mai, pour l’occupation de Jérusalem-Est et, le 5 juin, pour
l’annexion de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et du Golan
syrien. Une période propice au déchaînement des discours et des
ambitions d’expansion coloniale.
Nul
doute que les provocations s’enchaîneront, qui déclencheront
des réactions d’une jeunesse aux mains nues, acculée, dans l’indignation,
la colère et la révolte. Les deux jeunes qui ont ciblé des
civils israéliens au hasard n’appartiennent à aucun groupe, ni
à aucun réseau, selon l’armée et l’Autorité palestinienne.
Mais ils sont originaires de Jénine, de triste mémoire, où les
troupes israéliennes se sont livrées, il y a vingt ans, à un
massacre dans un camp de réfugiés.
«
Ce sont des Palestiniens normaux, des Palestiniens en colère, qui
se sont sentis humiliés par Israël et qui ont réagi aux
attaques quotidiennes de l’armée contre leur communauté »,
estime le gouverneur, Akram Rajoub . « La résistance
palestinienne à l’occupation israélienne et à l’apartheid n’est
pas du terrorisme. (…) Israël, c’est un État qui tue des
enfants, assiège des innocents et construit des colonies sur la
terre d’autrui », rappelle de son côté l’universitaire
Ghada Karmi.
Depuis
les attentats qui ont fait 14 morts en Israël, les militaires ont
carte blanche pour réprimer aveuglément dans la ville de
Jénine, qui est quasiment assiégée. La punition collective
systématique est une opération courante. Le ministère
palestinien des Affaires étrangères a dénoncé des exactions
contre des civils. Des Palestiniens ont été tués à bout
portant. Au mois d’avril, les autorités israéliennes ont
lancé une répression massive à Jérusalem-Est. Selon un rapport
publié par le gouvernorat de Jérusalem, la police a arrêté 894
Palestiniens, imposé une assignation à résidence à 37 autres,
banni 590 personnes de la mosquée Al-Aqsa et blessé 463
personnes.
Sous
la pression de Netanyahou en embuscade « Le problème réside
dans le fait que le gouvernement israélien actuel est fragile et
qu’il se voit contraint de faire des concessions pour les colons
et les partis de droite israéliens », analyse le politologue
palestinien Ghassan Al Khatib.
En
effet, depuis le 1er janvier 2021, près de 400 Palestiniens ont
été tués.
La
coalition Bennett-Lapid prend soin de fermer les yeux et de faire
protéger par la police l’extrême droite raciste et les hordes
de colons qui traquent les fidèles musulmans sur l’esplanade
des Mosquées, notamment durant le mois de ramadan.
«
La solution au problème des réactions palestiniennes violentes
n’est pas d’utiliser la force militaire, mais plutôt d’atténuer
les provocations contre les Palestiniens, d’améliorer la
situation économique et de leur donner l’espoir d’un avenir
politique », ajoute Al Khatib.
Le
gouvernement israélien, sous pression de Benyamin Netanyahou en
embuscade, dont le retour tient au basculement de quelques voix à
la Knesset, ne va sûrement pas dans ce sens. Il semble plutôt
bien disposé à précipiter un affrontement direct avec le Hamas.
La
guerre en Ukraine, qui occupe l’opinion internationale, lui
offre une marge de manœuvre à l’abri du silence fort probable
des États-Unis. Israël paraît aussi déterminé à tirer profit
des travers de la résistance palestinienne, considérablement
affaiblie. En perte de vitesse, l’OLP, enlisée sous la
direction de Mahmoud Abbas, semble incapable d’offrir à la
jeunesse des raisons d’espérer.
La
nébuleuse islamiste n’apporte pas davantage de réponse autre
que l’affrontement armé qui saigne les Gazaouis et dévaste le
territoire sous blocus. L’épisode meurtrier de la guerre des
Onze-Jours, en mai 2021, a toutefois scellé l’unité dans la
société civile. « Les Palestiniens à l’intérieur d’Israël
ont ressenti la même chose que les Palestiniens en Cisjordanie et
à Gaza. C’est une mauvaise nouvelle pour Israël », résume
Ghada Karmi. La donne pourrait en effet changer.
L'Humanité
du 12 mai 2022
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