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L'armée Israélienne et les binationaux franco israéliens

27/02/22

Christian Rubechi-AFPS Alsace

   

   

Parmi toutes les formes que prend la complicité  avec la politique criminelle de l'État d'Israël en Palestine, il en est une qui est particulièrement inacceptable : la participation de très nombreux binationaux franco-israéliens, hommes et femmes, qui effectuent leur service militaire dans l'armée israélienne d'occupation et peuvent donc être directement impliqués dans des opérations militaires dans le contexte de politique d'apartheid, de colonisation, de répression systématique.

Depuis de nombreuses années des milliers de citoyens  binationaux franco - israéliens, voire français, servent ainsi dans l'armée d'occupation d'Israël. En France-même de nombreuses associations de promotion de recrutement pour le service militaire dans l'armée israélienne sont actives et reconnues par nos autorités publiques.

De nombreux États coopèrent également avec cette armée et fournissent  des soldats pour des périodes de service militaire ; la France occupe une place de premier plan parmi eux mais son gouvernement est étrangement silencieux et nombre de colons en Palestine.

Ces binationaux  français qui effectuent leur service militaire dans l'armée israélienne

Accusée régulièrement de crimes de guerre, voire de crimes contre l'humanité, cette armée  « couvre », voire participe directement, aux exactions liées à la colonisation (662 000 colons, dont 12 000 Français,  selon les chiffres 2020 repris par la Plateforme des ONG pour la Palestine et les données de l'ONG israélienne B'Tselem avec un taux de croissance estimé de ces peuplements de 68 % sur la période récente). Elle est souvent impliquée dans les violences de colons contre les Palestiniens de tous âges. Il faut rappeler que le système judiciaire d’exception dont relèvent les Palestiniens des Territoires occupés dépend directement de l’autorité légale du commandement militaire israélien depuis la « proclamation militaire numéro 1 du 7 juin 1967 » ; ce régime d’exception ne se caractérise pas par sa rigueur envers les pratiques de terrain de l’armée d’occupation…

Il n’est pas nécessaire de rappeler les bombardements et la mort de milliers de civils dans la bande de Gaza, ni l’utilisation de munitions interdites par les conventions internationales par les snippers de l’armée israélienne.

Désormais, même la frontière entre armée régulière et milices armées de colons violents peut s'effacer dans la contexte des violences des colons en progression constante.

Des citoyens français effectuant leur service militaire en Israël sont donc susceptibles de participer à toutes les opérations de l'armée israélienne, en particulier dans les Territoires occupés et à Gaza (en 2014, l'un d'eux a d'ailleurs été tué à Gaza) .

Ils peuvent y servir dans des unités combattantes, voire des unités d'élite.

Pour les Françaises et les Français, il existe deux manières de servir dans l'armée israélienne :

  • celles et ceux d'origine juive, qui, ayant fait leur Alya sont venus s'installer en Israël en obtenant de ce fait la nationalité israélienne tout en conservant leur nationalité française, doivent effectuer un service militaire obligatoire d'une durée de 3 ans pour les garçons et de deux ans pour les filles. Elles et ils sont donc binationaux et constituent la très grande majorité des cas.

  • des Françaises et Français résidant en France, qu'ils soient ou non d'origine juive, peuvent également s'engager dans l'armée israélienne en tant que volontaires, tout en ne résidant pas en Israël et en n'ayant pas la nationalité israélienne.

Ces deux possibilités sont offertes aux citoyennes et citoyens du monde entier mais il faut noter le nombre très important de Françaises et de Français servant dans l'armée israélienne au titre de leur service militaire : plus de 4 000 soldats représentant plus de 2 %  du total des effectifs de l'armée d'occupation, soit la deuxième nationalité étrangère la plus représentée (sources Libération du 19/07/2018, site de Tsahal, Wikipedia, blog de Johann Elbory dans Mediapart  20/07/2014 citant  relais Tsahal et réseaux sociaux). Certains d'entre eux deviennent membres de l'armée de métier.

L'armée israélienne a besoin de ces forces que représentent ces effectifs dans le cadre du service militaire. Elle affecte donc de gros moyens au recrutement de volontaires venus du monde entier (qui n'adoptent pas systématiquement la nationalité israélienne) notamment par l'organisation de « stages » préparatoires.

Chaque année près de 1 000 Français de 16 à 18 ans, ayant au moins un grand parent de confession juive, passent ainsi quelques semaines en Israël sur une base militaire dans le cadre de stages divers (plus de 40 000 volontaires français dans le cadre de ces programmes d'appui à l'armée, organisés depuis 1983).

Parmi les programmes de volontariat pour les citoyens étrangers reconnus comme « juifs » par l'Etat d'Israël et qui souhaitent s'engager aux côtés de l'armée israélienne il faut citer en particulier :

  •  Le programme Marva court de quelques semaines pour « connaître et expérimenter la vie dans une base militaire et plus généralement la vie en Israël ».

  • Le programme international Mahal, proposé aux jeunes de 18 à 23 ans venus du monde entier pour servir dans des unités actives (à l'exclusion des troupes d'élite) d'une durée de 14 à 18 mois (pour mémoire 500 Français étaient inscrits dans ce programme au moment de l'opération israélienne contre la bande de Gaza en 2014 et l'un d'eux - Jordan Bensemhoun - y a été tué).

  • Les programmes divers : stage pour les jeunes juifs religieux, stage combinant études  universitaires et 14 mois de service dans Tsahal, programme pour jeunes juifs sionistes qui viennent en Israël dans le but de servir l'armée avec entraînement psychologique et physique au service militaire proprement dit, programme Atouda pour étudiants, etc …

La surreprésentation de citoyens français et américains dans ces programmes est à noter : en 2015 43 % des volontaires étaient français et ils ne sont pas absents des unités combattantes ( blog franco - israélien Coolamnews...).

La France est régulièrement mentionnée comme l'un des pays fournissant le plus de volontaires pour ces stages (selon i24 News, chaîne d'information en continu israélienne, l'armée israélienne comptait 3 384 volontaires étrangers en 2014, dont 70 % de garçons  - sources sites des associations citées, répertoire national des associations, Streeetpress et article C.C Garnier 03/03/2020, Middle East Eye édition française, Le Nouvel Obs, questions écrites des députés J.J Candelier et Pouria Amirshahi sur les poursuites éventuelles de « ces jeunes qui alimentent les tensions entre les peuples et importent un conflit qui met en danger l'unité nationale »).

Ces associations qui participent activement en France au recrutement, à la promotion et au financement de l'armée d'Israël :

Recrutement : des associations et organismes français ou basés en France organisent directement des séjours et stages d'immersion, de formation et de recrutement pour l'armée d'occupation (entre autres l'association YANIV , domiciliée au Chesnay (78), SAR-EL, domiciliée à Paris ; sur le site de SAR-EL, on peut lire « SAR-EL est représenté dans 50 pays et les branches les plus importantes sont SAR-EL France, V.F.I. Aux États-Unis et SAR-EL Israël. »).

Promotion : ces organismes et associations présentent les activités de l'armée et des soldats qui la servent sous un jour idyllique visant à faire oublier la nature répressive de cette armée et les crimes qu'elle commet envers la population palestinienne.

Financement : ces organismes et associations procèdent à des appels aux dons pour aider au financement de l'armée d'occupation, en particulier, grâce à leur site internet. Ces appels aux dons sont prévus par la  réglementation française qui prévoit des avantages fiscaux pour les contribuables français faisant des dons à des « organismes d'intérêt général » (on peut rappeler la question écrite du 10 mars 2016 de la sénatrice Goulet sur ce sujet qui n'a pas reçu de réponse du gouvernement.).

Ces citoyens franco-israéliens (voire français) servant dans l'armée d'occupation sont susceptibles de se rendre coupables de crimes de guerre

Deux cas  documentés à rappeler :

  • En 2015 une soldate franco - israélienne, Alison Bresson, a abattu à un check point près de Naplouse une Palestinienne et en a blessé une seconde. Elle a bénéficié d'une    invitation officielle du gouvernement israélien lors de la fête nationale israélienne.

  • En 2016, le franco-israélien Elor Azaria a abattu et achevé à terre un Palestinien de 21  ans. Condamné par les tribunaux israéliens, il a été libéré après 9 mois de détention et bénéficie désormais d'un statut de quasi héros national en Israël. Il est devenu un « conseil officieux » pour nombre de militaires servant dans les Territoires et a déposé en juin 2020 une demande de reconnaissance comme handicapé pour des séquelles psychologiques (sources Middle East Eye édition française février 2017 et 26/11/2020, The Times of Israël même date).

Il est plus que probable que bien d'autres citoyennes et citoyens français servant dans l'armée d'occupation soient impliqués dans les exactions que subit la population palestinienne : actions militaires aux côtés des colons les plus violents, démolitions de maisons, représailles collectives, arrestations et mauvais traitements d'enfants, opérations militaires contre Gaza avec des centaines de victimes civiles lors des dernières marches du retour, ...

Le Times of Israël cite ainsi, dans le cadre d'un fait divers récent, le cas d'un militaire franco - israélien (Samuel Amoyal) ayant servi dans l'unité Tomer de la brigade Givati ; ces unités ne sont pas engagées dans des opérations pacifiques contre les populations palestiniennes.

Pire: l’exemple récent du bataillon israélien « Netzah Yehuda », cité dans le contexte de la mort d’un vieillard palestinien de 80 ans est un exemple de ces milices qui semblent se multiplier en Territoires occupés.

A quel degré peuvent être impliqués nos compatriotes dans les actions militaires de protection directe de colons extrémistes se livrant à des exactions contre des Palestiniens ?

Dans les missions de l'AFPS en Palestine il est fréquent d'entendre des soldats parler un français parfait, aux contrôles de checks points ou sur les barrages établis à Hébron par exemple.

Plus généralement, aucune garantie n'est donnée, à ce jour, par les autorités françaises concernant le fait que des volontaires binationaux ou citoyens français, ne participent pas à de tels actes, ne servent pas dans les Territoires occupés en contravention avec toutes les dispositions du droit international, ne sont pas impliqués dans des opérations, sous uniforme israélien, pouvant relever de crimes de guerre.

Le silence assourdissant de nos autorités gouvernementales ne doit pas masquer le fait que depuis 2014 les interpellations de nos parlementaires sur ces sujets soient rarissimes.

Il faut aussi que soient poursuivis pénalement des cas avérés et documentés de crimes de guerre, voire de crimes contre l'humanité, de citoyens français ou binationaux servant dans l'armée d'occupation !

La Cour Pénale Internationale (CPI) : dans le cadre de l'enquête sur « la situation dans l'État de Palestine » ouverte le 3 Mars 2021 par sa Procureure, la Cour Pénale Internationale pourrait avoir à connaître de certains cas mettant en jeu la responsabilité de militaires binationaux ou français. Conformément au Statut de Rome, ces militaires pourraient être poursuivis pour crimes de guerre ou crimes contre l'humanité, s'ils ont été formellement identifiés et s'ils n'ont pas déjà été condamnés par la justice du pays sur le territoire duquel les crimes ont été commis.

La Justice française : la disposition nommée « compétence universelle » doit permettre aux juridictions d'un État de poursuivre les auteurs étrangers de crimes de guerre commis sur le territoire d'un autre État. Ces dispositions concernent donc d'abord des acteurs israéliens, mais leur portée juridique, quant aux double nationaux, devra être précisée. De même devront être précisées les possibilités de poursuites dans le cadre des dispositions en vigueur du code de procédure pénale français pour des crimes commis à l'étranger par des Français dans ce cadre particulier.

En France les procédures pour crimes de tortures, traitements cruels inhumains et dégradants, tels que prévus par la Convention internationale de New York de 1984, pourraient  également présenter des chances d'aboutir dans le cadre précis des procédures spécifiques applicables à ces crimes.

Les conditions de mobilisation de la Convention internationale sur l'élimination du crime d'apartheid, la Convention européenne pour la répression du terrorisme, devraient être précisées dans le contexte d’actes pouvant relever du crime de guerre.

Le recours à ces procédures complexes est certes complexe et aléatoire.

Il dépendra évidemment du niveau de responsabilité des individus poursuivis, de la fiabilité des témoignages et constats enregistrés, alors que  les pressions politiques pour les bloquer sont et seront très fortes.

D'ores et déjà nous devons exiger toute la lumière des autorités françaises sur ces participations de beaucoup de nos concitoyens en uniforme israélien à des actions pouvant relever de crimes de guerre, relever leur importance quantitative, leurs localisations.

Nous devons faire savoir et dénoncer ces participations, pour élargir la mobilisation de nos  parlementaires, de notre opinion publique.

Nous devons développer nos partenariats et actions conjointes avec les associations et ONG spécialisées présentes sur le terrain, en particulier ces organisations israéliennes qui dénoncent les agissements criminels de l'armée israélienne contre la population palestinienne.

Ces volets de droit pénal international ou simplement national de notre combat pour le peuple palestinien sont trop souvent négligé.

La simple menace de possibilité documentée de poursuites relevant du droit pénal international ou de notre propre droit pénal aurait pourtant un effet considérable.

Lever le tabou sur ces questions est un axe de travail majeur !

Christian Rubechi

avec le soutien de AFPS ALSACE

(*de nombreuses références de ce texte sont

tirées du document distribué aux congressistes lors du dernier congrès national de l'AFPS).